ROCK  AND  ROLL



Le Manifeste d'Orange  (1975)

une satisfaction inattendue


 C'est le vendredi 15 août, en fin d'après-midi, que sont arrivés dans l'amphithéâtre antique, quatre énergumènes en habits-du-dimanche un rien étriqués (mais seyants), pour expédier un message catégorique à l'Humanité bringuebalante :

 " Rock'n'Roll is here !  To stay." *
Près de 10 000 personnes assemblées, ils confirmèrent ainsi une intuition que n'avait pas toute la population ...

Le R'n'R n'a pas de fin : Cf. Cantonna (dans Looking for Eric de Ken Loach)  

 

 

 

      C'est ce que chacun pouvait entendre jusque dans les rues avoisinantes d'Orange, en filigrane, (en dépit d'une possible barrière de la langue, ou d'interférences envahissantes), une fois la sidération passée.

En prompt rétablissement, in extremis, malgré la pente ankylosante où glissaient les fashion-victims, ces prophylacteurs venaient là tirer le signal d'alarme (comme pour rééquilibrer la torpeur induite par un Tangerine Dream, bien assise figure imposée, renversée, vedette de circonstance tout autant paroxysmique à l'extrême opposé.)


Ces anachroniques militants vinrent gaillardement sonner le réveil, parmi toute cette marginalité multicolore, relativement dominante (dans l'opinion publique), bien que notablement déboussolée !
Leur légitimité tenait dans cette rock'n'roll attitude, dans cet élan incarné, humble mais sans concession. Visiblement réfractaire à toute sou[s]-mission.

« Vitalité (improvisée) / intégrité (spontanéïfiée) / Gratuité (morale) » :

Avec cette éthique à fleur de peau, déclinaison d'une poésie vécue, éructée instinctivement, au feeling, à l'écart des idéologies pré-digérées et des académismes fainéants. Incorruptible polysémie pré-mâchée avec gourmandise, dans sa pratique simili-libertaire, faisant confiance à l'individu, grégaire.
La beauté du geste (survitaminé, en l'occurrence) des outsiders triomphants, saisie dans leur conviction épidermique, fusionnelle, sachant se montrer héroïque à l'occasion. Aussi la liberté de témoigner, sans exigence prosélyte. (Le look de Dr Feelgood semble un non-look permanent...)

Un cas de figure inattendu, et inouï pour beaucoup.

Il ne s'agissait pas d'un pot-pourri de "protest-songs" formaté dans cette sempiternelle bonne conscience évanescente, stérile acrimonie obtenue par délégation ; ni d'exotiques psalmodies psychédéliques, ajustées pour fuir une vaine et perpétuelle déploration ; mais d'une authentique subversion !

Une double subversion : Autonomie sortie du placard, un peu fripée, pour continuer de faire un pied-de-nez au "Système" claironnant, (voire pour réussir à encanailler l'establishment, par contagion) ; mais dans le même temps agissant pour se substituer (la substitution, n'est-ce pas le meilleur synonyme de "subversion" ?) à l'incurie croissante d'une "contre-culture" toujours de guingois dans ses aspirations (... vaguement yogiques, dépassionées)

Le futur Centre du Monde, quelques heures avant...


      La rigueur, dressée face à l'approximation équivoque (polyvoque, à l'occasion)...
Le duel implacable entre la simplicité et le tarabiscoté... La première étant sûre de l'emporter, sans arrière-pensée parasite, sans ambition démesurée, par sa fierté éprouvée, au lieu d'un orgueil (mal placé, forcément, dans l'impermanence).
La simplicité (à ne pas confondre avec le simplissime, réducteur, caricatural) présente l'avantage de ne pas masquer la sincérité, de ne pas contourner l'essentiel acquis, de [re]poser[,] les bases fondamentales.

L'idiome du Blues, re-suscité... Le Rockabilly rédempteur, bien debout...

Un retour back to the roots, à l'esprit qui a toujours animé la jeunesse, et qui fut plus expressif que jamais quand, à l'approche le l'an 2000 (seulement 3 ou 4 décennies avant...), s'affichait des rassemblements souriants, débonnaires tant était forte l'idée que la société basculait vers plus de "confort", de complaisance pour l'humanité, une embellie charpentée par un quasi-culte du Progrès (social, technologique, sanitaire etc.)

Souvenons nous de l'incroyable final à rallonge de Hey Jude qui passait alors dans tous les juke-boxes, sur toutes les ondes, y compris à la télévision (avec le groupe Beatles accompagnés inévitablement par une foule de "fans", de sympathisants, de jeunes bcbg en goguettes...) Ou du Daydream de Wallace Collection. (Ou, en francophonie, du Je m'éclate au Sénégal interprété par Martin Circus, etc.)

(C'était bien avant la nécessaire lutte contre l'hégémonie violente des Approximatistes, menée par les Indignés, puis par les tenants de la Grande Empathie...)

 

Exemple géo-politique : Le Rock'n'Roll, en la personne de Joe Cocker, de David Bowie, et de Lech Walesa, de JP II, de Gorby, a eu raison du mur de Berlin ! Car ces gens ont, plus ou moins ostensiblement, permis au peuple d'être dans la rue malgré les interdits (en particulier d'être plus que trois sur la voie publique), et le couvre-feu berlinois n'aurait su empêcher les amateurs de sortir pour entendre la musique de chaque côté du mur.



      Le flux reconnait toujours quel sera le chemin le plus court. Il ne passera pas autrement, ailleurs.
(Il va droit au but : les méandres éventuels ne sont que le résultat d'une estimation de l'instant ; le sable appelle le sable, on ne peut retenir dans la main des châteaux pétris de présomption.)

Le dévouement
Et à bien y regarder, c'est pour mieux tenter d'anéantir cet élan vital, ce fluide cosmogonique, que d'aucuns bâtissent des panthéons en son "honneur".


Lou Reed, qui passait le lendemain (célébrité programmée le 17 août, en ce Festival d'Orange), ignorait encore que la "Révolution de Velours" (qui sera représentée en Tchécoslovaquie par le controversé Václav Havel), devrait son nom en 1989 au Velvet Underground. Il fut après la victoire reçu par le gouvernement.

La dissidence est un acquis trans-générationnel qui ne souffre pas de répit, qui ne connait pas d'aire de repos.



      De toute évidence dévoués corps et âmes, Lee (Brilleaux) et son équipage, avec l'émérite Wilko (Johnson) à la barre, imposent une formule rythmique imparable ; ils assurent un moment que l'on devine historique. Assumant leur cohérence, et même l'irrationnel.
Ils composent une fois de plus avec l'aléatoire institutionnel, et le folklorisme ambiant.

Avec un aplomb tonitruant, du au fait que leur underground naturel n'était pas le fruit d'une situation subie, mais celui d'une résistance revendiquée - à l'écart du star-system.
(NB: des années plus tard Doctor Feelgood préférait encore se produire, entre Amiens et Lille, à Doullens , dans une salle à échelle humaine, au profit d'un organisateur indépendant !)



Un altruisme revêche

Les Prépondérants sont invariablement dans l'ombre des Proéminents.
C'est la maya, qui implique que chacun se dessille avec empressement...


 

      Avec un dévouement impérial, bien dans ses pompes ou virevoltant, en majesté devant la statuaire figée (cf. backstage : l'empereur romain Auguste, au milieu de l'arrière-scène), dans ce théâtre antique momentanément détourné de ses classiques représentations, Wilko semble protèger son chanteur, de l'apathie...
Ce jour là, à cet instant béni, Lee et ses pairs ont la situation en main, ils sont en position de force, ils ont le pouvoir, laissé vacant. Une pichenette aurait suffi pour mettre au sol l'édifice laborieusement industrialisé par les marchands de rêves ; ils lui en mirent plusieurs, désubordonnant les consciences à coups de riffs cinglants, désaliénant les âmes via d'insolents breaks, coktail réjouissant. Un événement inestimable (cela même par les intervenants, clairvoyants sans vraiment le savoir...)

(Je l'ai constaté de visu, du haut d'un arbre - le gamin que j'étais grimpait facilement aux cimes. N'en croyant pas mes oreilles, j'ai abandonné fissa les échoppes d'alentour pour monter sur la colline qui surplombe l'arène, afin de profiter dans la canopée de l'embellie, avec la racine des cheveux hérissée, la chair de poule, nonobstant ma carence de ticket d'entrée.)

Enorme surprise générale, hyper-génératrice de satisfaction inattendue, électrochoc séminal, que la performance de ces anglais, dument cravatés, en costards ("comme échappés d'un incendie de plancher" dit-on), au beau milieu de cette grand-messe hippie !
(On repense à Nico, venue chantée seule avec son harmonium, pour inonder de bonnes vibrations ce campement haut-en-couleurs - qualifié depuis de "Woodstock français", même si je crois que c'est confondre avec le Festival de Péage-de-Roussillon, bien que le flux de l'autoroute n'ait pas été empêché par ce rassemblement champêtre, comme ce fut le cas à Woodstock.)  


On aurait dit comme un remake du péplum des Trompettes de Jericho.
(L'emphase en moins. La gnac en plus.)

"On a mis le feu ce soir-là. Le son était fantastique. La batterie sonnait comme un canon. Le soleil se couchait au même moment, la lumière était juste parfaite. Je n'ai jamais entendu le groupe si bien jouer. Cela nous a rendus célèbre en France." (cf. le film Oil City Confidential de Julien Temple)

Dans sa grande modestie, le Dr Feelgood oublie de rappeler que ce jour-là le groupe, jusque là fer-de-lance d'un "pub-rock" brut de décoffrage, a commis un manifeste, officialisé dans les microphones, qui ébranla la planète entière.

Ce fut la première fois que, de cette folle toupie, on en rétablissait l'axe de rotation originel, spontanément dicté jadis par Bill Haley et his Comets (sérieusement, cinématographiquement**, au milieu des fifties : siùultanéement avec les injonctions de Louis Jordan -  qui croyait encore jouer du jazz [rapide !], et puis Carl Perkins, Chuck Berry, et avec Gene, Eddie, et Elvis bien sûr. Etc.)


{ La seconde fois sera quand les Kinks entreprirent leur tournée, afin de déblayer les décombres (après la vague punk, et "the great swindle"), à contre-courant des seventies ; (pièce à conviction : le double-album en vinyle "One for The Road" ; pierre angulaire incontournable).
Ray Davis l'affirme :
« [Rock bands will come, rock bands will go, but] Rock'n'Roll will go on forever ! » ; et oui, l'harmonie est consubstantielle au genre humain. "All day and all of the night" !
}

Les Stray Cats sont à ma connaissance, ceux qui reprirent le mieux ce flambeau vacillant de la spontanéité à l'orée des 80's.}


       Ne dit-on pas que "nul n'est prophète en son pays" : c'est à Orange que quatre garçons pas dans le vent remirent les points sur les "i", (avant la sinistrose des années quatre-vingt...)

Tous ceux qui furent témoins de cet état de grâce ne s'en sont jamais véritablement remis.


Pr Fox

 

Rock' n' Roll :

 

  • Vitalité
    (improvisée)

 

  • Intégrité
    (spontanéïfiée)

 

  • Générosité
    (don de soi)
Orange 75

La dissidence est un acquis trans-générationnel qui ne souffre pas de répit, qui ne connait pas d'aire de repos.

 


 

Humilité :

C'était bien avant la nécessaire lutte contre l'hégémonie violente des Approximatistes, contre laquelle fut menée ensuite une infatigable lutte, par les tenants de la Grande Empathie...

- 2 incarnations du Dr Feelgood -
(C'est en 1964, que Johnny Kidd & the Pirates sortit  une chanson, signée C.Smith, intitulée Doctor Feelgood.)


Roll Over Rock Auguste
NB/ Auguste parvient à laisser à la postérité l'image du restaurateur de la paix, de la prospérité et des traditions.
Par son ami et conseiller Mécène, son règne est caractérisé par une floraison remarquable des arts et des lettres, valant au « siècle d’Auguste » de rester une référence culturelle mythique.

Dr Feelgood aussi...
 Roll Over Rock Auguste