Je n'avais conscience des
"événements", comme on disait alors dans les
médias, que par des indices troublants : un gros trou dans
le volet métallique de l'épicerie, encore
fermée ; un couvre-feu plus silencieux que jamais
(permettant de discerner à l'oreille les coyotes aux abords
de la ville), qui ne changeait rien à mes habitudes quant
à l'heure du coucher de toute façon.
Et, si j'avais été un peu plus perspicace,
j'aurais pu constater un léger changement dans les
fréquentations de mes jeunes parents, une certaine
détérioration dans leur tendance festive ...
Et puis il y avait les hélicoptères en forme de
banane (avec deux hélices) qui déversaient
régulièrement des tracts (des confettis
à mes yeux) sur les quartiers. Etc.
(Il faut bien convenir que les troubles
étaient moindres, en ces lieux, que ceux
provoqués 1/ par la "pacification" sauvage
opérée en Algérie sur ordre des
Instances métropolitaines dépassées
par les événements divers et variés,
ici ou là-bas ... 2/ tout autant que par le racket
séparatiste belliqueux des antagonistes
"indépendantistes". Comme je l'ai appris plus tard.),
Lorsque la situation semblait devenir un peu trop
"chaude" aux yeux des adultes, on m'envoyait quelques mois chez ma
grand mère en métropole, par exemple ... Alors
là, je ne rencontrais pas que des des sportifs ou des
poètes (c'est comme ça que l'on qualifie mes
semblables, parait-il, que j'aurais aimé trouver juste
unanimement "normaux", dans mon dépaysement), à
l'école ...
De retour "au pays", en fin d'après
midi, quand plus personne n'avait classe, nous allions très
souvent sur les terrasses, nombreuses de par l'architecture locale.
Pour jouer entre gamin(e)s à des jeux de gamin(e)s,
(d'origines assez diverses, avec éventuellement des natifs
d'horizons étrangers, même si la plupart du temps,
compte tenu de notre timidité infantile, ou de notre
obéissance envers les parents, nous étions
amenés à nous rencontrer plus facilement dans la
rue, près du port, ou sur des terrains vagues ...
L'accès aux terrasses était le plus souvent
tributaire du passage par le foyer de quelqu'un, ce qui est dissuadant
... Mais pas toujours : on connaissait tous les passages dans ce
labyrinthe !)
C'est ainsi qu'un jour comme les autres, mais
rétrospectivement funeste , on m'a appris que l'un de mes
petits copains ne viendrait pas ; parce que, dixit, il était
"mort" (!)
Je savais ce que c'était de "mourir" :
on avait eu un lapin, dans sa caisse, qui avait fini comme
ça ... Mais pour un enfant, je ne savais même pas
que c'était possible. (Pour
le lapin, je n'avais pas senti une grande détresse, du
côté de la cuisine ... Cela semblait
même naturel !)
Ce petit français avait
été "descendu" sur le terrasse, (habituellement
on y "montait" plutôt), par un parachutiste
français arrivé d'on ne sait plus quelle
garnison, de l'autre
côté de la mer, et qui avait pris peur en voyant
quelque chose bouger sur les toits.
C'était un jeune "appelé", qui n'avait jamais mis
les
pieds par ici, et qui était littéralement
paniqué
au bout de son parachute. Et armé.
Depuis
ce jour, je voue une farouche aversion envers tous ceux qui obligent
les épiceries à fermer, qui nous forcent
à
écouter les coyotes au lieu de la musique ; ou qui veulent
persécuter à la récré
ceux-là qui
"viennent d'ailleurs" ; et tous ceux qui fabriquent ou utilisent des
armes !
-Félix Goudart-